Du voyeurisme ou de la mise en abîme photographique

Je vous ai déjà dit combien la plage, entendue comme activité estivale, était pour moi d’un mortel ennui. C’est donc souvent un endroit où je ne m’attarde guère sauf à ce que la contrainte paternelle ne m’oblige à m’y adonner à la surveillance de mes bambins…

Et donc j’y suis évidemment avec un appareil photo. Ce ne fut pas le cas ce jour-là car je n’avais pas envisagé que nous y restions : nous étions partis pour une balade à vélo et l’arrêt à la plage, s’il avait été mentionné, n’était pas envisagé comme devant durer. Bien sûr, c’était oublier un peu vite l’inconstance infantile.

Me voilà donc, par ce dimanche après-midi, arrivé sur une plage où Adèle a décidé de faire un stop plus long que prévu. Maillot de bain revêtu, elle est partie se tremper puis jouer dans le sable. La pause va être longue mais j’ai réussi à déléguer à sa mère d’accompagner la petite demoiselle.

Je reste donc à l’ombre et j’ai bien repéré, dès mon arrivée, ce couple de personnes âgées assises à l’ombre sur leurs chaises de plage. J’ai également vu le titre de cette revue que la dame est en train de lire et qui m’a donné quelques indices sur quel pouvait être le nom de la feuille de chou : Gala, Détective, Voici…  Et comme souvent, mon cerveau s’est mis en mouvement : je me suis demandé comment on pouvait trouver un intérêt à un article sous-titré « personne ne sait que je suis une ancienne obèse »,  je me suis laissé emporter  par une forme de mépris pour ce voyeurisme – je reconnais ce sentiment qui ne m’honore guère et très jugeant à l’égard d’une dame que je ne connais point – … Ah ! le voyeurisme c’est le mal auquel des personnes de peu d’esprit se laissent aller, c’est le début de toutes les perversions, ne manquais-je pas de me dire !

Mais surtout je regrettais de ne pas avoir mon appareil photo car je trouvais qu’il y avait un moment intéressant. Un clin d’oeil à l’oeuvre de Martin Parr, actuellement exposée à l’Hôtel Fontfreyde de Clermont-Ferrand.  Pourtant j’en avais un d’appareil photo : celui dont dorénavant beaucoup se servent, au détriment des vrais appareils : mon téléphone. Mais je ne m’en sers que très rarement à cette fin de vraies  photos, plutôt comme pense-bête visuel (ma place de parking, le numéro d’un jeton de vestiaire, le titre d’un livre…).

 Je me saisis de mon téléphone en me disant que je recadrerai ensuite. Je compose mon image en ayant à l’idée ce recadrage, fait la mise au point et clic !

En fait plutôt claque ! Comme celle que mon cerveau, qui continuait de divaguer, venait de m’infliger :

Eh ben mon salaud ! Je croyais que le voyeurisme c’était le mal, père de toutes les perversions ! T’as pas mal  !  Tu fais quoi, là ?  Ah oui mais non, je t’entends déjà arriver avec tes excuses pathétiques : toi c’est de l’art, c’est le geste du photographe qui saisit l’instant. Toi , tu vas me dire que c’est tout le contraire  de la bassesse du voyeurisme : c’est  l’élévation d’une haute démarche  intellectuelle… c’est de la culture…

Je vous passe tout le reste de ce qu’il me mit : j’étais un peu K.O. et groggy sous la puissance et la justesse de l’attaque – il faut dire qu’il me connaît bien !- et je reculais de quelques pas. Un peu confus, j’allais m’asseoir au pied d’un arbre en attendant que femme et enfant ne me rejoignent et que nous repartions vers la poursuite de notre balade vélo, moi encore honteux  et cette citation de Houellebecq en tête :

C’est dans le rapport à autrui qu’on prend conscience de soi ; c’est bien ce qui rend le rapport à autrui insupportable. 

Michel Houellebecq

Plateforme

2 Comments to “Du voyeurisme ou de la mise en abîme photographique”

  1. Moms

    Perfide et pertinent, mon pépère !
    Sapide et croustillant, en somme assez excellent, cet uppercut du cerveau de moi à l’autre et vice versa.

    « Autrui est le médiateur entre moi et moi-même » (JPS)

    Reply

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