Emotion

Marcher longtemps, l’appareil autour du cou, sentir l’odeur de l’automne, percevoir le monde autour de soi, le sentir vibrer alentour, s’imprégner de tous les sons et puis soudain être ému. Non pas de cette émotion vulgaire d’en être trop violente et qui chercherait à vous faire poindre les larmes, de joie ou de douleur ; mais de celle sensible, douce et diffuse qui vous étreint le coeur, de celle lointaine, profonde et nostalgique qui met en mouvement la confusion des sentiments.

Il faisait frais ce dimanche d’automne. Il nous fallait sortir pour essayer de lutter contre la mélancolie du dimanche ; ce sentiment étrange qui m’assaille souvent en fin de week-end, cette envie de rien si ce n’est de retenir un peu la quiétude du repos dominical. Nous avions longé le canal, un léger vent mordant nous avait accompagné tout le long dans une atmosphère humide. J’avais évidemment fait des photos de ces paysages, j’avais même repéré en chemin un banc qui rejoindrait ma « collection ». Nous avions croisé des joggeurs, le couple avec son chien, une famille qui s’aérait après le gigot du dimanche, et même quelques photographes esseulés. Nous étions prêts de rentrer, la ballade touchait à sa fin.

Et puis là, soudain, nous sommes passés devant cette maison. Ce caddie de supermarché, ces trois poubelles, ce mur défraichi qui cache une porte. Devant, se joue un espace où les herbes folles défient les cailloux. Rien de bien exceptionnel, rien de beau et pourtant je fus immédiatement arrêté ! Mon oeil venait de commander et cet ordre ne souffrait pas de contestation. Je levais l’appareil, faisais la mise au point  et déclenchais. Et comme souvent, une idée m’est venue, une paraphrase plutôt :

Consommez, consommez, il en restera toujours quelque chose !

L’émotion que j’ai ressentie était bien celle-là. Peut-être mon esprit était-il embrumé et accablé par cette mélancolie du dimanche dont je vous ai parlé mais ce cadre me semblait une parfaite allégorie de notre société : une misère ordinaire mais un caddie vide témoin d’une consommation conquérante et arrogante et qui, certaine de sa puissance, exige ses trois conteneurs pour étancher son inextinguible appétit.

 

 

 

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