La perte

Ce qui se cache derrière.  Un ailleurs, un inconnu, la promesse d’une découverte, parfois même l’espoir d’un renouveau. La peur aussi, celle qui vous anéantit, celle qui vous empêche de vous relever, celle qui tétanise les plus intrépides, la peur de la perte. Pas de la sienne propre, ce qui serait bien vulgaire, mais de ce que l’on laisse derrière, de ceux que l’on laisse derrière soi. Cette altérité chérie dont on pressent qu’elle ne peut disparaître sans nous engloutir.

S’engager dans ce couloir, aller vers le bleu et même si une chaîne nous en barre le passage, ne pas s’arrêter. Franchir de nouvelles frontières, ne rien craindre, ne rien espérer non plus : la lumière du jour n’est plus et il nous faut donc  poursuivre, aller vers le bleu, être attiré par lui. Se rendre là-bas et se dissoudre.

Une lueur, un léger reflet dans une petite étendue d’eau, une mer éphémère à l’immensité ridicule…

La vision m’avait submergé, une vague d’émotion venait de m’emporter et après s’être joué de moi, m’avait abandonné, délavé et flétri, sur un rivage amer où, poli par le ressac des sentiments entrechoqués, je n’étais plus que vide et silence.

Et dans ce silence, alors les mots qui reviennent :

La seule arme dont disposent les ombres pour ralentir leur aspiration vers le néant, ce sont les pensées des vivants. Chaque pensée, même fugace, même légère, leur donne un peu de force.

Laurent Gaudé

La porte des enfers

De cette porte m’étaient revenues ces quelques lignes de ce magnifique roman.

D’évidence, je sus. La photographie est la pensée des vivants. Une pensée dans laquelle on met sa vitalité, avec fougue, parfois avec rage, toujours avec détermination : retenir  les ombres près de soi le plus longtemps possible pour éviter qu’elles ne désagrègent dans le néant.

 

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