L’unijambiste

De tous les objets que l’on rencontre parfois dans la rue, celui qui, dans sa singulière incongruité, éveille à chaque fois  mon imagination est la chaussure.

Comment peut-on en effet perdre une chaussure sans s’en apercevoir ? Assez vite on se sent bancal, on claudique si fort qu’on mesure d’instinct que l’on est bien mal chaussé…

Alors si ce n’est qu’on l’a égarée, c’est qu’il s’est joué là quelque drame pour qu’une personne ait du, dans la précipitation, se dessaisir de son soulier et courir le trottoir comme une va-nu-pieds ? Mais il n’y a souvent aucun autre indice d’une histoire sordide et l’objet est posé en un endroit comme s’il avait été délicatement mis en scène.

S’il n’est donc ni le fruit d’un maladroit oubli ni celui d’une funeste tragédie, comment ce soulier a-t-il bien pu se trouver là ?

Les esprits étroits et de peu de poésie diront certainement qu’il s’est échappé d’un vulgaire sac poubelle ! Mais, aura-t-on tôt fait de leur rétorquer, pourquoi seul ? quand on sait que la chaussure va souvent de paire. Et nul ne saura contester que l’on retrouve bien plus souvent une savate isolée qu’un couple assorti !

Les plus rêveurs penseront certainement qu’il leur suffit de la prendre, et de chercher dans toute la ville la Cendrillon à qui elle revient. Peine perdue, avant de retrouver l’élue, ils auront certainement succomber à quelque coup de pompe qui les aura découragés.

Et si alors ce n’était que le don d’un unijambiste qui, après s’être paré d’une nouvelle grolle fraichement acquise, offre au premier venu – dont il conviendra qu’il soit unijambiste de pied opposé – la godasse de trop ?

Et si…

Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a jamais nul témoin du moment précis où la chaussure choit sur la chaussée et qui pourrait nous en révéler le fin mot. Et je reste donc condamné à imaginer toute sorte d’histoire pour tenter enfin de percer le mystère.

Et quel pied ce serait que d’enfin trouver !

 

 

2 Comments to “L’unijambiste”

  1. Sabine

    C’est l’histoire d’une petite blondinette d’environ 6 ans, en vacances dans la campagne lorraine avec son grand frère, partis une journée jouer les Robinsons des champs…
    Après avoir passés une partie de la journée perchés dans un arbre dans lequel une plateforme en bois faisait office de « cabane » sensationnelle, alimentés par un bon pique-nique ‘grand-maman’ dont les saveurs de la campagne ont été gravés pour toujours dans la mémoire gustative de leur enfance…
    Après donc cette journée source d’une imagination débordante de deux gamins partis à la conquête de leurs rêves, décidés à revenir dans le cocon douillet de leurs grands-parents, ils se trouvèrent coincés dans les branches de leur arbre au pied duquel vaches et taureau avaient décidé de leur service de comité d’accueil…
    Après moult discussions et échafaudages de stratégies, les gamins décidèrent de profiter d’une minute d’inattention bovine pour descendre en quatrième vitesse et détaler comme des lapins jusqu’à la sortie du champ… tout simplement!
    Mais la course comprenait le passage d’un petit ru boueux.
    Le grand frère passa assurément le ruisseau, bravant courageusement l’eau, les débris et autres algues d’eau douce. La petite blondinette, voulant imiter admirativement son grand frère, s’engouffra, sans même attendre ses conseils avisés, dans le ruisseau… Mais avec ses plus petites gambettes, la traversée s’avéra plus périlleuse. D’un pas mal assuré et n’avançant pas assez vite, un pied s’embourba dans la vase! Comme aspirée par ses rêves d’aventures (bien moins drôles dans la réalité il faut bien dire!), la blondinette, un peu paniquée, s’en est sortie grâce à son grand frère qui, d’une main tendue, l’a tirée de ce mauvais pas… Elle oui…mais pas la petite botte en caoutchouc restée dans la vase victorieuse avant de suivre le petit courant qui animait le ruisseau…
    Le grand frère s’est bien occupé de sa petite sœur, revêtant le peton esseulé et nu de la gamine ahurie du petit sac plastique de leur pique-nique…l’histoire se déroule bien des années avant le 1er juillet 2016 signant la fin de la chaussure plastique d’urgence…!
    Traversant dignement le village lorrain claudiquant entre sa bottine en caoutchouc et son plastique de supermarché, la blondinette se demandait déjà ce qu’il adviendrait de sa bottine à jamais perdue…mais qui signerait pour toujours un de ses souvenirs d’enfance les plus marquants…!
    L’histoire ne dit pas si quelque photographe inspiré a pris un cliché insolite de la petite bottine échouée quelque part…!

    Bravo Belka pour cette nouvelle photo et les souvenirs qu’elle m’a évoqués…

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  2. Photographer Author

    Merci Sabine, fidèle lectrice !

    J’ai adoré cette fabuleuse histoire de la petite blondinette et suis ravi que ma publication t’a donné l’envie de nous la raconter. Je t’embrasse.

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