Transhumance

La lumière était belle ce soir-là. Ephémère mais belle, et ma patience avait fini par payer.

Il y avait bien eu ces gens qui s’étaient amusés de me voir, trépied en terre, dans une mer de brume ou de nuages, à vrai dire cela était difficile à savoir. Ils m’avaient même gentiment apostrophé pour me dire que c’était trop tard : un quart d’heure avant, le plateau était baigné de soleil.

Mais je n’avais pas désespéré car ma convalescence m’avait, en plus de me contraindre à la patience, éloigner trop longtemps des sorties photographiques pour que je renonce. Je voulais retrouver cette sensation si particulière et ce n’est ni le froid, ni ce nuage qui m’enveloppait, qui allaient me décourager. Il y avait du vent et je voulais croire qu’il y aurait une percée, un moment, même fugace, où le Puy-de-Dôme majestueux s’offrirait dans un coucher de soleil.

J’étais donc là et résolu à ne pas en bouger tant que je n’aurais pas capturé ce que j’étais venu chercher. Et puis il y avait ces moutons qui pâturaient tranquillement. Le cadre était posé et je savais que, derrière la grisaille, le volcan majestueux était là toujours près pour la pose.

Brumes et bruine

Pourtant, dans le décompte des minutes qui nous rapprochaient du crépuscule, la brume persistait et les nuages s’accumulaient, douchant mon espérance d’une fine bruine. Presque tous les gens qui étaient venus prendre leur bol d’air dominical, et qui ayant pris un peu de hauteur s’étaient extraits des affres de la ville et de son asphyxie, avaient disparu.

J’en étais à retenir mon souffle, plus rien ne bougeait. L’espoir vacillait. Sa vaillance, tout à l’heure si forte et maintenant défaillante, ne tenait plus qu’à ma soif de rattraper le temps perdu. Et ce n’est que lorsque les moutons commençaient s’éloigner, lorsque je fus presque résigné que je vis monter une lumière, d’abord si faible que je la pris pour une illusion, puis de plus en plus présente que je compris qu’elle arrivait.

Cela se dégageait et, même si cela ne durerait pas longtemps,  je respirais : je tenais ma transhumance.

L’homme fuit l’asphyxie.

L’homme dont l’appétit hors de l’imagination se calfeutre sans finir de s’approvisionner, se délivrera par les mains, rivières soudainement grossies.

L’homme qui s’épointe dans la prémonition, qui déboise son silence intérieur et le répartit en théâtres, ce second c’est le faiseur de pain.

Aux uns la prison et la mort. Aux autres la transhumance du Verbe.

Déborder l’économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière.

René Char

Seuls demeurent

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