Berlin est une ville magnifique, surprenante et qui invite autant à la promenade et à la contemplation qu’au silence et au recueillement. Tous les deux équipés de notre appareil, tentant chacun de conserver sur nos capteurs des images que nous partagerions ensuite, nous étions ensemble dans notre découverte de la ville mais souvent seuls dans nos approches photographiques.
Le temps était magnifique ; nous avions déjà « immortalisé » la porte de Brandebourg, le Reichstag et nous étions arrivés sur les rives de la Spree. Nous venions de lire les inscriptions sur les « croix blanches » en hommage à ces allemands qui avaient essayé de fuir l’Allemagne de l’Est. Nous avions échangé quelques mots, essayant de nous imaginer le désarroi qui pouvait pousser des hommes et des femmes à risquer leur vie pour franchir le mur. Nous nous étions émus à la lecture de la croix en mémoire de Chris Gueffroy mort le 5 février 1989, à l’âge de 20 ans, sous les balles du régime est-allemand. 5 février 1989, 9 mois avant la chute du mur ! Nous avons pensé alors que ce jeune homme était la dernière victime de cette barbarie parmi bien d’autres du 20ème siècle. Nous apprendrons plus tard que la dernière fut Winfried Freudenberg mort le 8 mars 1989 dans la chute du ballon qu’il avait construit pour passer à l’Ouest.
Nous sommes repartis silencieux, avons longé la berge de la Spree. Marie prenait des photos du Marie-Elisabeth-Lüders-Haus, qui de l’autre côté de la rivière regroupe la bibliothèque, le centre de documentation et les archives du Bundestag. J’en prenais du Paul-Löbe-Haus qui abrite quant à lui les bureaux des membres du Bundestag. Soudain en essayant de prendre une photo de l’intérieur, je me rends compte dans le reflet de la vitre de notre position, de cette allégorie de la blessure qui a meurtrie l’Allemagne et le monde pendant 28 ans : chacun de notre côté, chacun dans l’ignorance de l’autre malgré cette proximité, chacun avec l’envie de se rejoindre.
J’ai alors composé toujours avec cette angoisse que l’instant ne disparaisse, que Marie ne se retourne ; cette angoisse qui m’étreint souvent quand je tiens un instant que je considère décisif et que je tâtonne dans ma composition.
Je me souviens du soin que j’ai apporté au développement de cette photo en essayant de rendre cette idée, je ne sais pas si j’ai pleinement réussi. Je sais en tout cas que j’aime beaucoup cette image.
C’est excellent, si bien dit que ça en est troublant.