
Ceux qui me suivent depuis plusieurs années constateront que ma pratique photographique s’adapte à mes conditions de prise de vue…
Quand j’étais au bord du lac, je vous racontais mes balades photographiques. Je tamisais la lumière, à la recherche d’un paysage qui s’offrirait à moi. Le cliché était pensé, sa composition se voulait préparée et l’attente participait de la magie. Je trouvais l’apaisement dans des marches d’approches, parfois longues et vaines, mais toujours porteuses de l’espoir d’une lumière décisive. Ma photo était alors celle du temps, de celui qui passe et de celui qu’il fait.
Et puis, j’ai quitté le bord du lac et j’ai rejoint la ville, la grande. Mais je ne sais pas vivre sans la photographie.
Elle est l’expression de ma sensibilité, celle que je n’ai jamais vraiment su verbaliser spontanément de peur qu’elle me submerge ou que l’on s’en moque. Ma photographie dit, en une langue universelle, l’émotion que je n’ai jamais su exprimer. Avec elle, toute ma pudeur disparaît et je ne crains ni les sarcasmes, ni la honte. Elle est mon exhibitionnisme !
Aussi, lorsque j’ai rejoint la ville, j’ai continuer à pratiquer. De toutes les façons, je ne pouvais pas faire autrement. Je pouvais m’adonner à l’architecture mais cela n’est pas tout à fait pareil, en tout cas pour moi, et l’émotion est mise à distance. Le beau peut être là mais en revanche, il est difficile pour moi de transmettre une sensation avec de l’architecture.
Il m’a donc fallu affronter les autres, aller à leur devant et céder à l’appel de la rue. Je n’avais jusqu’à présent jamais réellement réussi à surpasser la gêne que cette pratique occasionnait chez moi. Pour moi réussir en street, c’était ou bien voler des moments à des inconnus, ou bien leur demander de les photographier au risque d’une alternative entre le refus ou la perte du naturel.
Je finis par comprendre qu’il me fallait disparaître, me rendre invisible, me fondre dans le néant et alors mes inconnus ne sauraient jamais qu’ils m’auront offert quelque chose. Il n’y aura ni vol ni refus. Juste l’instant que j’espère saisir au bon moment.
Ce qui m’était difficile est alors devenu un plaisir. Saisir ici ou là une expression, flâner dans la ville et laisser à nouveau la sensibilité prendre le pas.
Et s’il est bien un endroit où il est encore plus facile de passer inaperçu, c’est dans le métro. Plus personne n’ose se regarder, plus personne ne se voit, ils sont tous captivés par leur téléphone, à scroller sur Instagram, TikTok ou Snapchat…
Mais moi je les regarde. Je vais, je viens, je descends dans les entrailles de la terre, parfois je remonte à la surface mais toujours invisible à leurs yeux, je les capture.
L’être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l’homme qu’à la fin il disparaît.
Raymond Queneau
Zazie dans le métro, 1959