Il était venu avec quelques livres. Il s’était installé, avait posé ses quelques affaires. Il était seul. Seul avec ses livres, seul dans ses pensées.
Il aurait pu prendre un de ses livres, s’extraire du monde, se plonger dans la lecture. Se laisser oublier. Il était seul, si seul.
Il avait hésité puis renoncé. A quoi bon, pourquoi lire et avec qui le partager ? Il était seul, si seul.
Il avait pris soin de laisser suffisamment de place sur le banc, de lancer au vent cette invitation à venir le rejoindre. Moi, j’étais sur le chemin, je l’ai vu, j’ai entendu cette invitation murmurée dans un souffle. Mais j’ai aussi senti la solitude transpirant cette odeur âcre qui s’imprègne dans les interstices, vous recouvre et vous grignote. J’ai senti cette odeur funeste, qui effraie les autres et vous en éloigne. J’ai frissonné quand l’odeur de la solitude m’a soulevé le coeur.
J’aurais pu dépasser l’appréhension, m’approcher et engager la conversation, lui demander ce qu’il lisait, partager quelques instants. Nous aurions devisé sur tout, sur rien, sur la littérature, peut-être même sur la météo.
Et puis, il s’est penché, a pris un de ses livres. Il venait de choisir : il allait s’extraire du monde. Alors avant qu’il ne disparaisse complètement, j’ai monté l’appareil à l’oeil pour garder sa trace.
J’ai déclenché et, sans me retourner, me suis détourné. Il était seul, si seul.