Trash fashion

Se promener dans les rues de la ville avec un appareil n’est jamais anodin. Vous êtes à l’affût de l’inattendu, de l’imprévisible, du sensible ou du drôle. Et puis parfois, même lorsque vous êtes préparé à tout, voire même que vous l’espérez, vous restez sans voix.

Ce jour-là, donc, je vis arriver cette jeune femme face à moi. Et même si je suis attentif puisque je cherche à capturer des gens, des expressions (des gueules comme on dit),  des moments ou des situations, ce n’est qu’au moment où elle fut presque à mes côtés que je fus frappé par un mot sur le tee-shirt. Je ne m’attendais pas qu’il me saute au visage, toutes griffes dehors.

Je n’eus que le temps, trop bref, de lire l’ensemble du propos et pour tout dire un peu choqué, je n’eus pas le réflexe de déclencher car trop près et mal positionné. Mon cliché aurait alors été celui d’une photographie de rue qui n’est pas la mienne, plutôt celle d’un Bruce Gildeen (qu’à titre personnel je n’apprécie pas, mais j’y reviendrai plus tard) ou d’un Tatsuo Suzuki (à laquelle je suis plus sensible car je trouve qu’une poésie se dégage de cette hyper-proximité).

Je venais de laisser échapper un « punctum », cher à Roland Barthes, et c’est une sensation désagréable pour le photographe qui sait viscéralement que l’instant ne reviendra pas, jamais, sauf à le construire…

Tout à ma déception, je repris mon chemin et aperçus que la jeune femme au tee-shirt était arrêtée à un feu piéton. J’accélérais le pas, la suivis espérant pouvoir la doubler mais elle s’engouffra dans un bouche de métro. Je n’avais d’autre choix que de prendre ma photo du dessus, espérant que l’inscription en resterait lisible.

Voilà pour le dispositif… parlons un peu du fond.

Je vous ai dit que j’avais été un peu choqué, non pas que je sois prude ou puritain, vous le savez. Je confesse même céder à quelques grossièretés mais avec un public choisi, dans des instants décidés et quand je sais que je ne heurterai la sensibilité de personne.

Ce n’est pas le message qui me choque : je serais tenté de dire que chacun fait ce qu’il veut avec ce qu’il a de plus intime. C’est plutôt le pourquoi : pourquoi porter un tel tee-shirt ? de l’humour ? de la provocation ? une philosophie de vie ? un bizutage ? un slogan politique ?

Je n’aime pas la vulgarité, et j’en reviens à Gildeen : je trouve sa photographie vulgaire. Je ne parle pas du vulgaire au sens populaire ou banal comme le définissent les dictionnaires mais du vulgaire dénué de raffinement, qui heurte mon bon goût (qui je le reconnais volontiers peut-être différent de celui des autres), qui égratigne ma sensibilité. Je parle du vulgaire qui enlaidit le monde. Tout comme, je n’aime pas la photographie d’Antoine d’Agata. Mais je n’interdis à personne d’y être sensible.

Alors j’ai cherché en rentrant… c’est peut-être une référence qui m’aurait échappé ?

Et j’ai découvert que ce sont les paroles du début d’une chanson d’une artiste que je ne connaissais pas, Louisadonna, et l’expression d’une punchline féministe. La dame est peut-être même l’artiste en question. Soit, mais en quoi ce message, libère-t-il la femme du joug et de l’oppression des autres ? Je reste dubitatif.

Alors certes, cette jeune femme porte ce qu’elle veut comme tee-shirt et je me battrais sans doute à ses côtés pour qu’elle continue à le porter si elle souhaite. Je rassure également les éventuelles Chiennes de garde © qui pourraient passer par là, je parlerais de vulgarité pour un homme avec un tee-shirt du même style*. Le genre n’a rien à voir à l’affaire.

Les images ne sont jamais précises, mais diffuses. Le choix d’un certain angle, l’attente du moment où ce monde apparaît pitoyable et tendre enlèvent à mes clins d’oeil toute valeur objective. […] Je crois dur comme fer qu’il n’y a pas de vérité-étalon, mais que le profil de cette vérité peut être modifié à l’infini si l’on ose quitter les postes d’observation confortables.

Robert Doisneau

A l’imparfait de l’objectif : souvenirs et portrait, 1989

*et du reste à la date de la publication de ce post, un site vend ledit tee-shirt pour homme en différentes couleurs… et pour le coup, au vulgaire s’ajoute selon moi la goujaterie de celui qui après tout n’a pas vraiment son mot à dire !

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.