Il faisait froid ce soir-là. Nous étions en hiver et j’étais parti arpenter les contreforts du Mont Bart. Souvent, je m’y suis rendu parce que c’est là, au détour d’une ballade automnale, que j’ai commencé ma série sur les bancs. Comme d’habitude, j’en ai fait le tour. Dans l’espoir d’y retrouver mes bancs, ces fameux bancs sur lesquels l’outrage du temps, l’abandon, l’humidité, les saisons ou encore les amoureux laissent des marques que je trouve très photogéniques. J’ai donc complété ma série ; la nuit tombait et il me fallait revenir vers la voiture.
J’ai rejoint la route et m’apprête à la suivre pour atteindre le parking. Je passe alors devant un petit promontoire qui offre une vue dégagée sur la vallée en contrebas. En bas, là où le Doubs et l’Allan se rejoignent, la ville s’offre à moi, s’illumine dans le crépuscule naissant. La lumière est en train de changer, elle est à ce moment où tout bascule, où en un instant les couleurs changent.
J’aurais pu rester ainsi à admirer cette succession d’instants éphémères, à contempler – seul sur le Mont Bart – ce combat inégal entre une lumière artificielle conquérante et une lumière naturelle vouée à la défaite. C’est ce que j’ai fait jusqu’à ce que le désir photographique soit plus fort. Il ne me restait plus beaucoup de temps. La lumière était déjà trop faible pour que je puisse déclencher sans trépied même en abusant des hautes sensibilités que mon appareil permet sans trop « bruiter ».
Je me précipite vers la voiture, attrape mon trépied que je sais toujours avoir dans le coffre, l’installe en quelques secondes en vérifiant le niveau, fixe l’appareil, cherche ma composition.
Je sors la télécommande de mon appareil du sac ; je sais que sur de tels temps de pause, le moindre mouvement apportera un flou de bougé. Je cadre, et après m’être reculé, j’appuie sur la télécommande. 30 secondes passent à attendre que l’obturateur se referme puis à nouveau 30 secondes à attendre que l’appareil digère cette pause longue. Je ne regarde pas la photo qui s’affiche sur l’écran, je recadre à nouveau, déclenche encore. 60 secondes de plus. Je recadre encore, déclenche toujours, 60 secondes de mieux…
A chaque attente, je mets les mains dans mes poches car il fait froid en cette fin de journée du début janvier.
Je resterai plusieurs minutes ainsi, sans vraiment changer d’angle de vue. Je verrai le ciel passer du bleu violet au noir profond au dessus des néons. Je verrai les nuages s’imprégner des couleurs de la ville et du ciel, passant d’un orange flamboyant à un orange sépia.
C’est fini, la lumière n’est plus qu’artificielle, je fais encore quelques clichés mais je pense déjà au développement car sur ces pauses longues et à une telle ouverture, je sais d’avance que mes photos marqueront les poussières d’un capteur que j’ai trop tardé à nettoyer. J’espère aussi que les photos rendront quelque chose. Cela dit, si ce n’est pas le cas, je sais que je serai évidemment déçu mais j’aurai tout de même profité de beaux instants. Rentré à la maison, je n’ai pas été déçu même si j’ai en effet du retirer de petites poussières disgracieuses.
Je me souviens aussi de l’accueil de Marie qui me raconte son coup de fil avec Gwen à qui elle avait dit que j’étais parti faire des photos. « Ah ouais ! Il continue toujours à faire des photos ? » avait demandé Gwen, étonnée certainement que je sois assez toqué pour aller faire des photos un soir de janvier, à la nuit tombée et dans le froid mordant.
Gwen, si tu lis ces lignes, ces quelques photos sont pour toi.