Nous voilà prévenus. Au-delà sont tous les dangers.

Nous n’étions pourtant pas téméraires mais c’était notre chemin, aussi nous nous avançâmes. Nous pouvions subitement devenir des aventuriers du bitume, des conquérants de l’asphalte, peut-être même des explorateurs de travaux publics. Nous n’étions pas téméraires mais nous venions de décider : nous irions !

Mais avant cela, mon oeil avait étincelé. Rien de transcendant, rien de merveilleux juste un entrelacement de rouge et de jaune, trois panneaux qui se succèdent, répartis de part et d’autre d’une ligne formée d’une balustrade puis de ce minuscule passage piéton. J’ai souvent pensé que la photographie était l’art du dérisoire, de ce qui ne représente pas grand chose avant d’avoir été capturé. Pourtant, si j’aime la photographie c’est parce que c’est l’art du grandiose, de ce qui dit tout en un jet de lumière et vous met KO, dans le fond du ring à chercher votre respiration après le grand trou noir. Et vous vous dites, que je dis une chose et son contraire, l’ombre et la lumière. Vous avez peut-être raison : je ne sais plus ce que je dis, je ne sais plus ce que je vois… Dérisoire ou grandiose ?  Subtil ou exubérant ? Ces trois panneaux, ce bitume, cette balustrade, ce chemin de Liliput signifiaient-ils quelque chose pour que je sois immédiatement mis en alerte ?

Et puis, on se souvient de ce que disait cet immense photographe de l’instant qui est de tous les hommages ces dernières semaines :

Une photographie n’est ni prise ni saisie de force. Elle s’offre à vous. C’est la photo qui vous saisit.

Henri Cartier-Bresson

On s’en souvient et tout s’éclaire : le danger n’était donc pas celui qu’on croyait. Il n’était rien qu’un signifiant. Un signifiant à l’usage des automobilistes, ces jouisseurs de la ville, pour les mettre en garde. Insignifiant pour le piéton que j’étais, ce danger s’était pourtant emparé de moi pour s’offrir à vous.