J’avais bien cru entendre sa voix. J’avais perçu, malgré la fraicheur ambiante sur le plateau, le souffle chaud de son timbre magnétique. Mais il y avait une colère froide que je devinais derrière un ton de reproche.
« J’en ai plein les bottes ! » venait-il de s’écrier.
« Je suis le seul à bosser ! Dans les parages, je n’en connais pas un qui ne passe pas son temps à réfléchir ! Ah ça pour réfléchir, ils réfléchissent, mais je finis par être le seul à produire ! ».
Faut dire qu’à le regarder, je le trouvais un peu fatigué. Il avait un teint blanchâtre que je ne lui connaissais pas, lui qui habituellement, et tout au long de l’année, avait ce teint hâlé et orangé.
« Un de ces quatre, quand ça va vraiment me courir, je crois que je vais piquer une de ces colères ! ».
J’en frissonnais : il paraît que ses colères sont en effet redoutables. Ceux qui les côtoient, en voyaient de toutes les couleurs. On dit même que l’ambiance en devenait alors tellement électrique que les appareils à proximité en prenaient pour leur grade et pouvaient cesser de fonctionner. Bref, et même si je me demande si ce n’est pas un peu exagéré, c’était impressionnant.
« Et puis tiens, puisque c’est comme ça ! » furent ses dernières paroles avant un silence inquiétant.
En général, j’évitais de le fixer tant je le savais susceptible et capable de vous faire payer cher, et à vie, un tel affront mais sa neurasthénie me semblait si profonde que j’en pris le risque. Alors, je fermais les yeux, levais la tête, et quand je les rouvrais je vis sa terrible vengeance.
Pour mieux comprendre notre monde, il faut parfois, avant, refuser de voir :
Si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé.
René Char
Feuillets d’Hypnos
Le soleil se prenait pour la Lune !