Casabianda – Sous les pavés la plage

Il est en Corse, dans la plaine orientale, pas loin d’Aleria et de ses antiques ruines, un endroit défavorablement connu des services de police.

Il s’agit du centre de détention de Casabianda, qui a la particularité d’être une prison différente des autres, si bien que que les médias à sensation l’on nommait, avec la délicatesse qu’on leur connait, « le Club Med des pointeurs ». Ce centre de détention accueille en effet majoritairement des détenus reconnus coupables d’infractions sexuelles qui sont incarcérés dans des conditions rares en France (on en dénombrerait 2) et dans le monde : il s’agit d’une prison ouverte. A l’intérieur de l’enceinte de ce domaine agricole de 1 500 hectares, les détenus sont libres de leurs mouvements, participent à l’activité agricole, doivent être présents à l’appel et passent la nuit dans leur cellule.

Mais, juste à coté de ce centre de détention, il est un autre endroit un peu unique. Je ne vous parle pas de cette plage agréable, peu fréquentée, à l’eau claire et au sable fin. Non, cet endroit unique, ce n’est pas cette plage que l’on rejoint après avoir parcouru près de 3 km d’un chemin, certes carrossable, mais qu’en d’autres lieux on dénommerait piste. Vraiment, ce n’est pas cette plage dont les graffeurs nous apprennent qu’on a retiré les pavés.

Non, je vous parle de cet ancien centre de vacances de l’administration pénitentiaire laissé à l’abandon et où la nature a repris ses droits, concurrencée, ça et là, par les graffeurs.

Et il faut bien l’avouer l’endroit est photogénique.

Je ne suis pas amateur d’urbex, au sens où je ne cherche pas spécifiquement les explorations urbaines de bâtiments en ruine, mais je ne résiste pas quand l’occasion se présente. D’autant que rester à griller sur une plage n’est pas au titre de mes activités préférées, souvenez-vous.

Un amphithéatre en ruine couvert de graf

Et il y a dans cet endroit un ancien amphithéâtre, au fronton duquel est inscrit cette expression latine passée à la postérité Timeo Danaos et dona ferentes ( je crains les grecs – danéens – même porteurs de présents). A la vérité, je fus surpris de la présence de cette locution, ici en ce lieu, et je me suis interrogé longtemps – et je m’interroge encore, pour être honnête- sur sa symbolique. Pourquoi avoir choisit cette formule dans un centre de vacances de l’administration pénitentiaire ? Pour encourager la probité ? Pour que les matons n’oublient pas de se méfier d’un cheval de Troie ? Mystère…

En tous cas, cela m’a donné l’occasion d’aller relire le passage de l’Eneide de Virgile dont est tiré cet aphorisme :

Brisés par la guerre et refoulés par les destins,
après tant d’années écoulées déjà, les chefs des Danaens,
inspirés par la divine Pallas, construisent un cheval haut
comme une montagne, et tressent ses flancs de planches de sapin :
selon le bruit qui court, ce serait une offrande pour leur retour.
Dans les flancs aveugles de l’animal, ils enferment secrètement
des hommes d’élite désignés par le sort et ils font entrer
des soldats armés dans les profondes cavités du ventre de la bête. […]

Nous, nous les croyions partis pour Mycènes à la faveur des vents.
Alors toute la Troade se libère d’une longue souffrance ;
les portes sont ouvertes; c’est un plaisir d’aller voir le camp
des Doriens ces lieux désertés et ce littoral abandonné.

Ici campaient les Dolopes ; ici se trouvait la tente du farouche Achille ;
ici c’était l’endroit réservé à la flotte ; là ils s’entraînaient au combat.
Certains sont stupéfaits devant le funeste présent à la vierge Minerve,
et s’étonnent des dimensions du cheval ; Thymétès, le tout premier,
suggère de l’introduire dans les murs et de l’installer sur la citadelle ;
était-ce fourberie, ou le destin de Troie était-il déjà lancé!

Mais Capys et les mieux inspirés recommandent
soit de précipiter dans la mer le piège des Danaens
et leur présent suspect, d’y bouter le feu et de le brûler,
soit de forer le ventre du cheval et d’en explorer les coins secrets.

Le peuple indécis est partagé en clans opposés.
Le premier, en tête d’une importante foule qui l’escorte, tout excité,
Laocoon dévale du sommet de la citadelle et crie de loin :

« Malheureux concitoyens, quelle immense folie vous prend ?
Croyez-vous les ennemis partis ? Pensez-vous qu’un seul présent
des Danaens soit exempt de pièges ? Ne connaissez-vous pas Ulysse ?
Ou des Achéens sont enfermés et cachés dans ce cheval de bois,
ou cette machine a été fabriquée pour franchir nos murs,
observer nos maisons, et s’abattre de toute sa hauteur sur la ville,
ou alors elle recèle un autre piège ; Troyens, ne vous fiez pas à ce cheval.
De toute façon je crains les Danaens, même porteurs de présents. »

Cela dit, de toutes ses forces il fait tournoyer une longue pique
vers le flanc du monstre et les poutres jointes de son ventre rebondi.
Elle s’y fiche en vibrant, les flancs du cheval en sont ébranlés,
tandis que de ses profondes cavernes résonnent des gémissements.

Et si, sans les destins des dieux, sans l’aveuglement de nos esprits,
il nous avait poussés à dévaster de nos lances les cachettes des Argiens,
Troie tu serais maintenant debout, tu subsisterais, altière citadelle de Priam !*

Virgile

Enéide, Livre II

*extrait repris de la page de la Bibliotheca classica selecta de l’Université catholique de Louvain

Une galerie des photos prises en noir et blanc sur le site est accessible ici

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.