Il est de ces matins où le sommeil s’est enfui, un peu trop tôt, un peu trop vite, un peu trop loin. Certainement parce que je n’ai pas su le retenir. Je pourrais peut-être fermer les yeux, implorer son retour mais rien n’y fera, j’en ai la conviction. Il m’a déjà abandonné. Il a disparu pour quelques heures et, je l’espère, il reviendra car, à peine réveillé, je sens sur mes épaules le poids d’une mauvaise nuit, le fardeau de ces journées qu’on aurait aimé lui confier pour qu’il s’en saisisse et les emporte au tréfonds de l’oubli. Mais là, je me retrouve seul dans le jour naissant, seul avec cette tare que je traîne de nuits agitées en insomnies et qui lestera ma journée.
En vérité, je ne suis pas si seul. Elle est à côté de moi, endormie. Pas un bruit pour venir troubler son sommeil. Il y a bien ces sons au dehors mais au loin, et feutrés, ils bercent son repos. Je pourrais lui parler doucement, avec l’ambition d’enchanter son réveil mais elle a, elle aussi, son ballot à faire passer. Si frêle, je doute qu’elle pourrait le porter plusieurs jours. Je me lève.
Souvent quand le poids est trop lourd et le sommeil définitivement parti, il ne reste que l’espoir d’avoir été plus rapide que le soleil, de peu, juste ce qu’il faut pour avoir le temps de le surprendre.
Attraper des vêtements, prendre une douche en souhaitant que l’eau charrie un peu des humeurs dont on ne s’est pas défait et saisir son appareil.
Les rues sont désertes, le chemin ne sera pas long vers cette destination que j’ai repérée il y a quelques jours et où je me suis dit que je reviendrai un jour pour attendre le soleil. Ce n’est pas tant lui que je viens voir : je n’ai pas oublié son courroux. Non, la seule capable d’alléger cette charge indicible c’est la lumière ; une lumière magique qui n’apparait que quand l’astre s’ébroue, juste avant qu’il ne s’élance vers sa course folle. Souvenez-vous, et si vous la connaissez vous aussi, vous comprenez avec quels charmes nous la savons capable de nous ensorceler.
J’y suis et, sans surprise, je suis seul. Je profite de cette lumière même si je regrette que ce sournois de sommeil ne soit finalement pas parti plus tôt. Arrivé là-haut, je me rends compte en effet que le soleil m’a devancé, certainement une vengeance. Mon seul réconfort est soudain de savoir que sa journée à lui aussi va être longue.
Il reste encore quelques minutes, 5, 10 au maximum, où la lumière sera encore si belle. Le jour s’étend. Timide, il arrive sur le bout des pieds, s’excusant de réveiller les brumes qui effrayées – elles ont peur de tout – se dissiperont en silence. C’est à peine s’il ose dire aux ombres dansantes de s’égayer avant que le soleil n’arrive pour les dévorer. Je profite de l’instant, le savoure car c’est cela qui me permettra de supporter ce jour le plus long. Il y a bien cet arbre devant qui s’est invité dans mon paysage et à qui je ne peux m’empêcher d’en vouloir d’être là, de me retirer un peu de cette immensité que je croyais pouvoir m’accaparer quand la ville dort encore.
Et puis, je vois ce ballon là-bas dans un ciel pas encore bleu, dans un ciel de lait. Un peu au-dessus de la ligne de crête, la montgolfière s’élève. Au dessus des brumes qui se dissipent dans la frayeur du jour, elle se dirige vers l’arbre sans gêne. Finalement, je lui trouve un avantage à celui-là : il pourra me servir de « cadre dans le cadre » quand le ballon passera entre ses bras chétifs. Je fais ma mise au point sur le ballon et je déclenche pour voir ce que cela donne. Ce sera bien. Je n’ai plus qu’à attendre, cela ne devrait pas être long. L’arbre aussi est convaincu de sa prise, du reste ses bras ont déjà dessiné le « v » de la victoire.
Et bien, cette photo-là, celle qui m’aurait définitivement régénéré dans ce matin pâle et qui avait déjà impressionné les sels de mon esprit, n’existera jamais. Et je n’ai à vous montrer que son esquisse : le ballon s’était enfoncé dans la vallée et, si je pouvais encore l’entr’apercevoir, je savais bien que cela ne donnerait rien, que sa masse sombre ne se détacherait pas, faute d’avoir rejoint ce ciel pourtant si accueillant.
A cet instant, je renonçais à lutter contre cette satanée insomnie qui m’avait déjà vaincu une fois et ce matin, après l’amoureux d’Elsa, j’ai pu dire que :
Toute aube est pour quelqu’un la peine capitale
A vivre condamné que le sommeil trompaLouis Aragon
La Diane française