Le barbelé, quel horrible invention ! Elle met à l’écart, tient à distance, et pour les plus audacieux ou désespérés qui s’y frottent, déchire les chairs. Parfois, on la trouve encore dans nos campagnes, pour parquer les bêtes qui viennent y accrocher quelques poils ou crins, et qui flottant dans le vent, ne sont que de ridicules oripeaux dont le métal chercherait à couvrir son impudique laideur.
Le barbelé, c’est je ne sais pourquoi, la sinistre expression que je me fais de la guerre et je ne peux, à chaque fois que j’en croise, que frissonner de l’horreur qu’il m’inspire. C’est exagéré, penserez-vous certainement, mais à sa rencontre me revient l’image de l’ogre décrit par le Médecin de ce bouleversant roman de Laurent Gaudé sur la guerre :
C’est là que j’ai entendu à nouveau les cris du fou. De grands cris de seigneur blessé. Je ne sais s’il est le père ou l’enfant des fils barbelés qui courent le long de la terre. Il est possible que cette terre éventrée et meurtrie ait donné naissance, dans une nuit de sueur et de contractions, à cet être. Qu’elle l’ait fait naître pour se venger des hommes qui la balafrent sans cesse un peu plus. Moi je crois plutôt qu’il est l’ogre sauvage, le père de ce paysage de mort. Et il profite sûrement de la nuit pour chier de longues traînées de barbelés et rire ensuite en regardant le visage tranchant et rouillé de ses enfants.
Laurent Gaudé
Cris
Et je vois partout, dans le monde, les vendeurs de barbelés se réjouir de la prospérité de leur commerce : ici pour empêcher les « barbares » de franchir la frontière de leur ostensible opulence, là pour protéger des propriétés en ruine que pourtant plus personne n’habite, là encore pour contenir les hordes de malheureux que cette autre confrérie joyeuse que chantait Boris Vian, les marchands de canons, a jeté sur les routes du monde.
Je vendais des canons dans les rues de la terre
Mais mon commerce a trop marché
J’ai fait faire des affaires à tous les fabricants d’cimetières
Mais moi maint’nant je me retrouve à pied
Tous mes bons clients
Sont morts en chantant
Et seul dans la vie
Je vais sans souci
Au coin des vieilles rues, le coeur content, le pied léger
Je danse la carmagnole, y a plus personne sur le pavé
Canons en solde !Boris Vian
Le petit commerce
Et puis parfois, et malgré tout cela, la joie revient. Car renaissent l’espoir et l’entrain quand des herbes folles nous montrent le chemin et, malgré les barbelés, s’élancent vers la liberté et la vie.
très beau cliché, et pour moi qui adore les herbes folles, j’ignore les barbelés.
et pourtant ils sont là, agressifs et arrogants, nous rappelant à toutes les contraintes…
Merci Annie de ton passage régulier sur ces pages. Amitiés