Méditations nocturnes d’un banc dépressif à l’usage des météorologues et autres voyageurs

Les bancs sont toujours une invitation. A s’asseoir bien sûr ; mais à tant d’autres choses : aimer, dormir, lire, vivre, méditer, patienter, se reposer, s’oublier, disparaître… Et c’est certainement parce qu’ils sont cette concentration de la vie que je les aime tant !

Celui-ci m’invitait dans la nuit avancée à prendre place entre ses bras et à observer le silence s’étendre, à écouter la ville s’endormir, à réfléchir à tout, ou à rien, au sens de la vie et aux choses vides de sens.

Je m’assis donc et me laissai aller. Après quelques instants où les seuls bruits étaient ceux de la rivière entremêlés de quelques acouphènes, vagues réminiscences des agitations de la journée, je l’entendis distinctement. C’était comme si quelqu’un s’était assis à côté de moi et avait subitement engagé la conversation.

Lui : Douce nuit, non ?

Moi : Oui enfin la chaleur de la journée se dissipe et bientôt la fraicheur apaisera nos corps assoiffés, me surprends-je à lui répondre tout naturellement.

Lui : Ne m’en parlez pas. Je passe mes jours là, au bord de la rivière, sous les rayons ardents d’un soleil impitoyable, avec à peine l’ombre des quelques feuilles de cet arbuste rachitique…et mutique de surcroît ! Vous pouvez pas vous imaginer : ça m’irradie dans le marbre et me lance jusque dans les jointures. Peu de gens pour venir s’asseoir et me faire, de leur postérieur, une ombre salvatrice. Alors je souffre…

Moi : Oh, mais une telle chaleur, ici, ce n’est que quelques jours dans l’année… Pensez à vos cousins dans le sud de la France !

Lui : Ah mais monsieur, c’est que dans le sud, on a une vraie tradition du banc ! Tout d’abord, on l’installe sous un platane charnu et enveloppant comme une madonne. Ensuite, on n’oublie pas d’y prévoir quelques anciens à la voie rocailleuse et enjouée. Enfin, on a, dans le sud, le sens de la conversation, de la dispute oserai-je dire ! Alors qu’ici, qui vient me voir ? Des solitaires qui broient quelques idées noires, des amoureux bien trop occupés à s’embrasser pour me faire la causette,  des anciens isolés trop fatigués pour m’entendre… 

Moi : Vous pensez pas que vous en faites un peu trop, là ?

Lui (après un silence un peu pesant) : Voyez ! Je vous dis ce que j’ai sur le coeur, je m’épanche et vous, plutôt que de compatir, vous me pensez dépressif. Non, pas de dénégation, je le sens bien au son de votre voix. Mais vous ne vous rendez pas compte : l’été, un soleil qui vous cogne dessus à vous votre mettre le ciment en ébullition et l’hiver, un froid qui vous assaille à vous faire éclater les jointures !

Moi (essayant de trouver le ton juste) : Bon c’est vrai, la météo n’est pas nécessairement clémente avec vous mais vous avez un cadre magnifique : cette rivière, les éclats de lumière, l’animation de la ville… Je connais certains de vos congénères qui échangeraient volontiers leur place avec vous…

Lui : Je vois bien que ma situation vous laisse de marbre… (et, dans un soupir qui en disait long) Je ne vous salue pas, monsieur !

Moi : Ne vous vexez pas, voyons. Cela ne vaut pas la peine que nous nous échauffions. Vous avez vu du monde aujourd’hui ?

Lui : …

Je suis resté encore un peu, espérant qu’il sortirait de sa bouderie. Mais rien n’y fit. Alors, je me levai, lui jetai un dernier coup d’oeil.

Encore un qui pense que j’ai un coeur de pierre, me suis-je dit avant de poursuivre ma route.

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