J’en avais entendu parler. C’est une histoire que l’on murmure ici tout en jetant des coups d’oeil inquiets par dessus son épaule. Il y aurait dans la forêt un monstre. Malgré son apparence inoffensive de mousse, de bois et de lichens, il serait terrible et quiconque le croiserait…
Ce n’est pas que je sois bien courageux, ni-même aventurier et encore moins téméraire, mais je me devais d’en avoir le coeur net. Ce monstre de la forêt n’était-il pas que le conte dont on alimentait les cauchemars des enfants, le fruit de ces « histoires de bonne femme »¹ pour effrayer le touriste et, égoïstement, le tenir éloigner de cette terre si belle ?
Il me fallait savoir : je n’en dormais plus, et j’avais définitivement perdu le peu de goût qu’il me restait du sommeil.
Alors, je partis. Je marchai longtemps dans la forêt. Il faisait si chaud que je crus un instant être plongé dans les gouffres de l’enfer, la sueur perlait et me piquait les yeux. Je ne renonçai pas…
Soudain, je l’aperçus et j’en fus saisi. Le souffle court, j’étais tétanisé et je ne savais plus si je devais prendre mes jambes à mon cou pour fuir le plus loin possible ou simplement attendre le terrible sort que l’on m’avait promis si je venais à le croiser.
Il était là, immobile. Le museau à l’air, il me semblait qu’il m’avait déjà repéré, qu’il humait mon odeur. Je m’attendai à chaque seconde, et dans l’éternité de leur décompte, à ce qu’il tourne la tête. Et puisque cela devait être ma fin prochaine, je ne serais pas venu pour rien. Peut-être quelqu’un retrouverait-il mon appareil ? Et alors le monde saurait.
Je déclenchai et, sans demander mon reste, déguerpis aussi vite que mes jambes flageolantes me le permettaient. Il me semblait l’entendre à mes trousses, sentir son haleine humeuse pesait sur mes épaules et ralentir chacune des enjambées. Au moment ou j’étais persuadé qu’il allait poser ses griffes sur mon dos, je trébuchai sur une souche et ma tête frappa durement le sol…
Je me suis réveillé en sursaut. Encore un nuit d’insomnie me suis-je dit dans le court laps de temps avant que ne me revienne en mémoire ma chute. Pourtant, j’étais dans mon lit, ma montre indiquait 3h44. Tout était silencieux. Je me tâtai tout le corps, cherchant des blessures que je ne trouvai pas. Un cauchemar, me dis-je.
J’essayai de me rendormir en vain. Chaque fois que je fermais les yeux, me revenait le souvenir émétique du monstre de mon cauchemar, du monstre de la forêt. Ce cauchemar avait eu l’air si réel. Je finis par me lever et saisir la carte mémoire de mon appareil photo. Fébrile mais aussi un peu ridicule, – ce n’était pas le premier cauchemar que je faisais, et je devrais savoir que ceux-ci ont toujours l’air réel – , j’insérai la carte dans l’ordinateur.
Il était là ! Je suis terrifié…
¹que les féministes qui passeraient par là ne s’émeuvent pas : cette expression consacrée n’a rien de sexiste, bonne étant ici utilisée dans le sens de vieille…
génial !