Venir te rejoindre dans ces herbes. Nous laisser encercler, profiter de cette douce quiétude et puis s’abandonner. Suivre cette tige, s’élancer avec elle dans un ciel qui nous appelle. Ici, nous ne serons que tous les deux, rien d’autre. Là, rien ne comptera plus, rien n’attendra plus, tout sera calme. Le silence aura laissé la place à cette splendide mélodie. L’entends-tu ?
La balade avait été belle mais l’appareil timide. Quelques lumières nous avaient accompagné ; elles avaient même parfois étincelé. Des reflets merveilleux dans les eaux peu profondes, je n’avais cependant rien gardé.
Et puis là, sur la fin, des herbes folles, de cette folie qui vous vient d’être trop libres, m’appelaient. Je crus au début à une lointaine mélopée, envoutante et profane. Je tendis l’oreille. C’était là au loin, ténu, presque inaudible mais cela avait attiré mon oreille. J’étais confus : mon oreille, pourquoi elle, alors que j’étais entièrement concentré sur mon oeil ? Alors je voulus, d’une photo, capturer le son. Je voulus dire, par la lumière et les ombres, la quiétude mais aussi le charme de cette symphonie. Je voulus, après moi, rendre le monde synesthésique, permettre à chacun de trouver la grâce de la confusion des sens.
Je saisis doucement l’appareil, je ne voulais pas effrayer les herbes chantantes, et j’entendais les trilles qui se renforçaient.
Je fis délicatement la mise au point, sur celle dont la voix était la plus cristalline, et l’appogiature aiguisait mon regard de sa parfaite résolution.
L’attente, l’hésitation, et soudain le contrepoint : l’oreille et l’oeil qui se mêlent dans un subtil éclat de lumière.
Je déclenche et m’imagine quelques infimes secondes être un bien étrange chef d’orchestre. Dans ces herbes, s’élèvent une clameur et le rugissement de mille instruments. Je crois succomber à la ferveur de l’oreille absolue…Un comble pour le photographe.
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.Charles Baudelaire
Correspondances
Merci à Jean-Claude Ameisen pour ses fabuleuses émissions qui sont un émerveillement. Je lui dois d’avoir découvert la synesthésie et bien d’autres choses. cf.les podcasts à retrouver sur France inter