Vestiges

Il était encore là, vaillant malgré les assauts. Il avait dans un premier temps conservé ses bois, même s’ils n’étaient plus grand chose et que ces quelques planches recouvertes de mousse avaient renoncé depuis longtemps à accueillir un hôte. Et puis là, telle une bête pourchassée  que l’on aurait dépouillée de si splendides oripeaux, tel le taureau auquel le matador vainqueur fait subir les derniers outrages, il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il n’était plus que fer mais pour combien de temps encore ?

Si vous venez régulièrement, et si vous avez pris le temps de parcourir mes séries, vous l’aurez peut-être reconnu. Oui c’est bien lui, ici encore avec quelques ramures même si on sent déjà que la fin est proche. A chaque fois que je fais cette balade, j’ai, à ce détour où je sais qu’ils doivent apparaître, un pincement au coeur. Seront-ils encore là ?

C’est idiot, vous direz-vous, de s’enticher comme cela de quelques planches et ferronneries…

Ce qu'il reste d'un banc
Un banc outragé

Mais que voulez-vous, je m’y suis attaché car c’est à eux, à ces quelques bancs parsemés le long de cet étroit chemin, à ce mobilier urbain perdu dans les bois, que je dois d’avoir commencé cette série au long cours. Et souvent, c’est bien davantage pour m’assurer qu’ils sont encore là que je vais là-bas. Venir les rejoindre. Les saluer et passer un peu de temps avec eux. Ce temps qui court et qui leur a déjà fait tant de mal.

Et à chaque fois, ils acceptent de poser ;  en majesté, ils imposent le respect. Réduits à presque rien, ils ont cette cruelle dignité de ceux qui ont tout perdu sauf la mémoire de ce qu’ils ont été, de ce qu’ils ont offert à toutes celles et ceux qui, du temps de leur jeunesse, ont fait confiance à ces bancs pour retrouver un peu de souffle, une quiétude égarée, la joie d’une lecture isolée ou encore le baiser si longtemps espéré.

Je sais que viendra le temps où ils ne seront plus. Ils auront été enlevés, peut-être même remplacés par un fringant, métallique et gringalet repose-fesses,  de ceux qui vous ôtent jusqu’à l’envie d’être fatigué (ou d’être amoureux) tant ils sont inconfortables. Eh oui, aujourd’hui le banc ne doit pas être confortable ! Pour ne pas être squatté, paraît-il… Peut-être même pour qu’on ne puisse plus y mourir non plus !

Il se leva péniblement, se traîna jusqu’au bout du quai. Là, il se faufila derrière la rangée de chaises en plastique, s’allongea sur le côté, la tête face au mur, puis il ramena le col de son manteau sur sa tête et ferma les yeux. L’hiver qui était en lui l’emporta.

Jean-Claude Izzo

Le soleil des mourants

Alors, quand mes bancs auront disparu, je reviendrai peut-être, mais l’appareil en berne et l’oeil en deuil.

Pour aujourd’hui, ils étaient encore là captant quelques rayons d’un soleil paresseux et timide. C’était peut-être cela le soleil des mourants.

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