A l’heure de la nuit

La nuit s’annonçait et nous n’étions plus très nombreux au sommet. Il y avait ce jeune couple qui était venu profiter de la lumière du soir et que nous avions croisé au niveau du promontoire, mais tous les autres étaient partis. Bientôt, il ferait vraiment nuit et avant que la pénombre ne recouvre tout, il me restait quelques instants pour capturer le moment.

Une nouvelle fois, Marie était devant et je trainais. Ce n’est pas que notre sortie avait été harassante et, qu’épuisé, j’avais du mal à la rejoindre. C’est au contraire qu’au fur et à mesure qu’elle s’éloignait, je la voyais s’inscrire dans un cadre dans lequel j’avais la certitude que j’allais pouvoir la capturer. Ces deux réverbères, ces  arbres, ce chemin, ce paysage vallonné,… : tout appelait la photo. Et c’est quand elle s’arrêta et se retourna pour constater le retard que j’avais encore une fois pris que je déclenchais. Ce serait l’ultime photo de cette promenade.

 

Sous la lune

Bienveillante, la lune nous avait accompagnés tout du long.

Elle nous avait montré le chemin que nous connaissions cependant si bien. Nous l’avions suivie et elle nous avait bercés comme les flots ; nous avions senti le flux et le reflux nous irriguer et nos pas avaient obéi, inconsciemment, à un rythme nonchalant mais régulier.

Et voilà que nous arrivions près du but, nous bouclions notre rapide tour qu’un départ trop tardif de la maison ne permettait pas de rallonger sans que le froid et la nuit ne nous assaillent.

 

L’appareil en bandoulière, l’oeil en alerte, j’étais comme trop souvent intériorisé, parlant peu et ne répondant que brièvement aux sollicitations d’Adèle ou de Marie.

C’est quelque chose qui m’a toujours surpris : alors que la photographie est cet art où nous devrions être le plus ouvert au monde, attentif et en empathie avec notre environnement, j’ai – dans ces instants-là – comme l’impression d’être ramassé au fond de moi-même, concentré en un point infime et noyé dans l’immensité sidérale d’un vide intérieur. Et c’est quand je déclenche que je me sens revenir violemment au monde et – dans cet arc électrique dont il m’est bien difficile de décrire la sensation – me reconnecte à ce qui m’entoure.

Déclencher, c’est revivre le big bang et embrasser en un instant l’infinité de l’univers.

 

2 Comments to “A l’heure de la nuit”

  1. Sabine

    Magnifique photographie. Moment de vie capté avec esthétisme et contraste saisissant.
    Beauté de l’image et beauté des mots. Intensité du paysage et profondeur des pensées.
    Je nous souhaite de savourer beaucoup d’autres big bangs photographiques!!
    Bravo!

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