Imagination

Errer dans la ville, s’imprégner de la chaleur de ses murs. Ecouter ses doux murmures et se bercer de son histoire. S’abandonner aux plaisirs simples de l’imagination.

Je n’aime rien tant que me promener sans but dans la ville. Et même si j’arpente souvent les mêmes endroits, je savoure à chaque fois ce qu’elle sait montrer aux pénitents quand elle s’offre sans retenue avec une pudeur si délicate.

La ville offre à l’imagination de celui qui cherche à la séduire plus qu’il ne lui en faut pour s’émanciper. Chaque ruelle est propice à la rêverie : ici, je pense à celles et ceux qui au fil des siècles sont passés avant moi ; là, je songe à ce qui se cache derrière des murs marqués par le temps – et parfois par les graffeurs venus s’arracher un moment de postérité – ; là encore, je m’enivre d’odeurs colorées qui me transportent subtilement ailleurs.

Etourdi par cette imagination qui m’assaille, je désire toujours plus. Je voudrais passer chaque porte et m’inviter dans chaque endroit. Je me surprends à me rêver en Dutilleul, celui qui habitait au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt et

 qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. Il portait un binocle, une petite barbiche noire, et il était employé de troisième classe au ministère de l’Enregistrement.

Malheureusement, n’est pas Garou-Garou qui veut et on trouve trop fréquemment au bout de chacune des ruelles une porte, souvent close, et qui vous tient fermé dehors. Il faudrait alors un peu de témérité pour oser affronter le mur mais, outre le ridicule qui ne manquerait pas de nous accabler lorsque nous nous écraserons piteusement contre la pierre, surgit la terreur quand revient en mémoire la fin de l’histoire. 

Il lui semblait se mouvoir dans une matière encore fluide, mais qui devenait pâteuse et prenait, à chacun de ses efforts, plus de consistance. Ayant réussi à se loger tout entier dans l’épaisseur du mur, il s’aperçut qu’il n’avançait plus et se souvint avec terreur des deux cachets qu’il avait pris dans la journée.

Marcel Aymé

Le passe-muraille

Je reste donc dehors, continue à rêver ce que j’aurais pu voir dedans en m’abandonnant aux plaisirs simples, et à peu de risques, de l’imagination.

 

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