Luxe, calme et volupté

Il n’est souvent pas besoin d’aller loin. Là, près de nous, à une enjambée ou deux, se trouve souvent un trésor. Caché, ou simplement discret, il n’attend qu’un regard et se révèle à ceux qui attentifs auront bien voulu le cueillir. Mais de cette cueillette virtuelle, qui laisse tout intact sans aucune trace de notre passage, nous ne nous satisfaisons jamais. Trop proche, pas assez exotique ou encore trop réel, nous dédaignons ce qui ne s’offre qu’avec l’effort de vouloir le saisir. Nous cédons alors à l’invitation au voyage, car nous sommes persuadés qu’il faut aller au-delà, s’enfuir vers un ailleurs où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté.

Et pourtant, il suffit de prendre son appareil, de s’offrir une pause et se laisser aller. Suivre le courant, se laisser caresser par les algues entremêlées et rejoindre la barque. Y grimper et puis là, immobile, se rappeler ces quelques vers et s’assoupir en contemplant les arbres chantant dans le vent.

L’invitation au voyage

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Charles Baudelaire

Les fleurs du mal

Les nuages passent alors, nous réveillent et vient le souvenir de ce rêve. Ce rêve d’un voyage que nous n’aurons pas fait, accroché au frêle parapet d’où nous venions de déclencher. Ce rêve d’un voyage inutile quand il suffisait de prendre  son appareil, de s’offrir une pose et se laisser aller.

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