Quartier lointain

Simplement un peu de brouillard, et alors ce petit parc ressurgit des limbes de ma mémoire. Une légère brume suffit pour que tout redevînt limpide, si proche et si présent. Pourtant, tout avait changé.

Ce petit parc, à deux pas de chez mes parents, était celui de mes tendres années. Nous étions nombreux, jeunes enfants du quartier, à nous y rendre et à y passer de si bons moments.  Je devais être l’un des plus jeunes, beaucoup avaient l’âge de mes frères et soeurs, plus âgés que moi.

Il était un endroit rêvé, toujours animé, les mercredis, les week-ends et les soirées d’été. Il était celui des découvertes, des folles parties de ballon prisonnier, des circuits de billes et de voitures qui pour être façonnés pendant des heures ne duraient que le temps d’une partie. Il était celui des courses poursuites à vélo sur ce terrain en stabilisé qui écorchait les genoux lorsque, trop sûrs de nos pilotages, nous nous laissions aller à quelques risques inconsidérés.

Ils étaient tous là Pascale, Frédéric, Emmanuel, Philippe, Franck, JP, Pascal, Benoît, Sylvie, Stéphanie et tous les autres. Même ceux qui n’étaient pas du quartier étaient les bienvenus et pouvaient nous y rejoindre parce que c’était un tel bonheur de jouer ensemble. Parfois même, nous consentions à le laisser à des adultes pour une partie de pétanque dominicale.

Et puis, le temps a couru. Les plus grands sont passés à d’autres occupations, quand nous, les plus jeunes, n’étions plus si nombreux pour le faire résonner de nos cris d’enfants.

Un jour, il s’est définitivement vidé… Il n’était plus qu’un lieu de passage, silencieux, et ses bancs ne recevaient que de rares visiteurs. Le quartier avait vieilli. Ce quartier résidentiel, dans lequel nos parents arrivèrent en même temps pour y installer leur famille, était devenu un quartier de grands-parents, avec des petits-enfants de passage qui n’investiraient jamais cet endroit comme nous l’avions fait.

Ce petit parc était toujours là, à chaque venue chez mes parents, mais ne représentait plus grand chose. De l’avoir trop connu, je l’avais oublié.  Et puis ce matin là, peut-être parce que j’étais avec mes enfants qui ont l’âge que j’avais quand nous jouions des heures dans un espace qui me paraissait alors si grand, tout m’est revenu. Certainement aussi à cause de ce brouillard, cette brume magnifique, les souvenirs m’ont submergé. Tout était revenu.

J’étais le Hiroshi de Quartier Lointain, retombé en enfance et pour lequel tout s’éclairait alors.

Ce n’est qu’ensuite que j’ai vu les herbes folles sur le stabilisé, ces herbes que nos courses n’autorisaient pas, ces tags sur les bancs que notre présence aurait interdit, cette solitude qui ne pouvait arriver car il y avait toujours l’un de nous pour jouer avec l’autre.

J’ai compris que le temps était passé et qu’il était illusoire de vouloir le retenir, sauf – peut-être – en photo.

2 Comments to “Quartier lointain”

  1. J’y étais, n’y serai plus jamais pour n’avoir pas su retenir le temps, sauf peut-être en poésie car ces bancs sont aussi les poèmes surannés de mon enfance tendre et terrible, le reste est à écrire :
    « Bancs passés qu’avez vous fait de mes jeunes années?
    Ce brouillard que les jours ont posé sans mot dire
    Ne se dissipera plus, gravé sur la lyre
    Du cousin ou du frère troubadour plus âgé,
    Vieilli, gourd et étourdi des mêmes délires,
    Brumeux, eux aussi et à toujours embrumés.
    Bancs passés qu’avez vous fait de mes jeunes années?
    Gardez votre secret jusques au dernier soupir. »

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